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Sophie Rouart

interview

SOPHIE ROUART

Responsable du Patrimoine
de la Maison Pierre Frey

Créer et monter une exposition virtuelle immersive représente un nouveau type de médiation culturelle. Avec la programmation de l’exposition « Paris 1900 » les 19 et 20 septembre 2020, à l’occasion des journées européennes du patrimoine, Sophie Rouart, Responsable du Patrimoine de la Maison Pierre Frey et de l’exposition, nous explique pourquoi cette décision a été prise et comment les équipes s’adaptent à ce nouveau quotidien.

Le caractère exceptionnel de cette crise soudaine et les incertitudes quant à la façon dont se déroulera l’exposition, en font un cas tout à fait unique et demande plus d’adaptation que d’ordinaire. L’impératif était celui de ne pas annuler l’exposition.

La chance et la force de « Paris 1900 » est de s’appuyer sur un patrimoine personnel, celui de ses marques.

Pierre Frey ouvre, pour la toute première fois, les portes de son fonds patrimonial exceptionnel avec les archives de Braquenié, de Le Manach et de Lauer, constituées de dessins préparatoires, textiles en tout genre, moquettes, mises en cartes et papiers peints qui étaient très en vogue à Paris en 1900.

Le style Art Nouveau est un courant apparu aux alentours de 1890, qui prône l’art pour tous, estompe les frontières entre arts majeurs et mineurs, et libère les artistes par la promotion d’un art plus individuel.

Sophie Rouart, forte d’une expérience dans différents musées textiles, vous inventoriez chaque pièce de la Maison Pierre Frey et valorisez les archives par le biais d’expositions temporaires…

La Maison Pierre Frey exprime son pouvoir créatif au travers du papier peint, des tapis et moquettes sur-mesure et mobilier. Pour les lecteurs qui ne connaissent pas la Maison, pouvez-vous nous la présenter ?

 

Pierre Frey est une maison d’édition de tissus créée par Monsieur Pierre Frey en 1935. Au cours du temps, les créations se sont diversifiées afin de proposer un concept global de décoration qui permettrait d’habiller les intérieurs. L’éclectisme de ses différentes marques, Pierre Frey,

Le Manach, Braquenié, Fadini et Boussac répond à toutes les envies décoratives. C’est une entreprise familiale dirigée aujourd’hui par Patrick Frey, fils du fondateur, accompagné de ses trois fils, Pierre, Vincent et Matthieu.

Quel est donc votre parcours et comment devient-on

Responsable du patrimoine de la Maison Pierre Frey ?

A la fin de mon parcours en Histoire de l’art, je me suis spécialisée dans l’étude des tissus anciens. J’ai ensuite travaillé dans des musées textiles, notamment au musée de la Toile de Jouy. Souhaitant œuvrer dans une structure qui réunirait patrimoine et création, j’ai envoyé une lettre à Patrick Frey lui présentant ma vision d’un patrimoine vivant….

Cela correspondait à la sienne.

Pourquoi l’exposition ne peut-elle être présentée cette année et quelle organisation avez-vous mis en place pour continuer à travailler sur ce projet ?

Le département Archives existe depuis 17 ans. Il est ouvert sur rendez-vous aux clients de la Maison, décorateurs et tapissiers ainsi qu’aux chercheurs et historiens.

Nous souhaitions dans le cadre des Journées Européennes du Patrimoine l’ouvrir à un auditoire plus large avec un projet ambitieux qui se serait déployé sur trois sites, le département Patrimoine et nos deux sites de production afin de montrer l’interaction entre patrimoine, savoir-faire et création contemporaine.

Les restrictions d’accueil des publics liées au Covid 19 nous ont obligés à repenser totalement notre projet. Ce n’est que partie remise !!!

A quoi ressemblent vos journées, depuis quelques mois, au sein des Archives et du Studio pour la préparation de l’exposition virtuelle immersive « Paris 1900 » ?

Mi-juin, nous avons décidé de basculer sur une exposition virtuelle avec une thématique différente. Je souhaitais surprendre nos équipes, nos clients et les personnes qui nous suivent sur les réseaux sociaux.

J’ai donc proposé l’Art nouveau car vous n’en trouvez pas dans notre catalogue bien que nous en conservions de nombreux exemples au département patrimoine.

Dès lors, j’ai travaillé sur la sélection des œuvres. J’ai consulté de nombreux ouvrages sur les bases de données des bibliothèques, notamment Gallica, rédigé le texte d’introduction, les cartels.

Les œuvres ont été photographiées. J’ai piloté l’habillage virtuel d’un de nos canapés avec une archive textile. Nous avons travaillé sur des projets papiers peints et tapis à partir d’archives, imaginé des passe-partout pour multiplier le nombre d’œuvres présentées.

Ce projet a mobilisé toutes les ressources internes de la Maison : les graphistes, les stylistes, etc.

Le processus de préparation était-il aussi stimulant que celui d’une exposition temporaire ouverte au public ?

Cela fait longtemps que je m’intéresse à la valorisation digitale du patrimoine. C’est un médium enthousiasmant qui ouvre le champ des possibles.

 

Le processus est tout aussi stimulant car les problématiques sont totalement différentes d’une exposition physique. Il faut rendre palpable l’émotion suscitée par la déambulation au milieu d’œuvres. Il est difficile de s’émerveiller devant son écran. Il faut donc choisir des œuvres assez fortes visuellement.

L’exposition digitale présente un atout incroyable : se libérer des contraintes liées à la conservation des œuvres présentées.

Le textile est un matériau très fragile qui craint la lumière. On peut ainsi les exposer au regard du plus grand nombre sans craindre de les voir se détériorer. Les dimensions de nos archives sont diverses. On peut choisir de ne présenter qu’un raccord du dessin dans une exposition virtuelle, car l’étoffe est imaginée comme cela au départ, un raccord qui se répète à l’infini.

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"En travaillant sur ce thème, je souhaite démontrer que la réalité est parfois plus nuancée qu’elle ne paraît."

 

A travers les créations, les œuvres et le savoir-faire emblématique de Braquenié, Le Manach et Lauer, quelles émotions et quelles découvertes, souhaitez-vous transmettre

au public ?

Dans l’imaginaire collectif, ces trois maisons sont représentatives d’une décoration classique et traditionnelle. Cependant, elles n’ont pas hésité à éditer des motifs Art nouveau : plus de 360 pour Braquenié.

En travaillant sur ce thème, je souhaite démontrer que la réalité est parfois plus nuancée qu’elle ne paraît.

 

Chez Le Manach, l’Art nouveau apparaît tardivement, vers 1906. Cette date correspond à l’arrivée de Georges Le Manach dans la manufacture. Véritable visionnaire, il embrasse les courants avant-gardistes. Cela démontre qu’une maison d’édition textile est avant tout une aventure humaine basée sur des entrepreneurs dotés d’une forte sensibilité artistique.

 

Enfin, l’Art nouveau fut primordial dans l’émergence de l’art moderne.

Que diriez-vous de l’évolution des pratiques décoratives des années 1900 à aujourd’hui ?

L’Art nouveau a posé les fondements des pratiques décoratives du XXe siècle. Il a libéré les artistes, prôné un art pour tous et dans tout.  Grâce à la philosophie de ce mouvement, la frontière entre arts majeurs et mineurs s’est estompée. Les artistes de cette époque ont été les premiers à concevoir des projets globaux : de l’architecture à la petite cuillère.

La place de la Maison Pierre Frey reste prépondérante dans la promotion de l’art sous toutes ses formes. Cette exposition a pour objectif de nous dévoiler son inspiration, tout en la partageant au monde entier.

Le concept d’exposition virtuelle favorise la mise en contact du public avec les œuvres numériques et permet de vivre une « réelle » expérience de visite au sein des archives de la Maison.

Interview par : Stéphanie DEVISSCHER

Photo : © Anne-EmmanuelleThion
Photo d’entête : © Jérôme Galland

Magazine « House and Garden »

 

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